La psychanalyse et le fait religieux

Des journées d’Espace analytique qui feront date. Il était essentiel que nous fassions sur cette question majeure, d’une acuité et d’une difficulté extrême, plus qu’un point actuel, une authentique réflexion. Car il ne traverse pas seulement notre actualité, ce faix religieux qui avec son x ajouté par Lacan fait résonner ce que l’homme secrète autant qu’il le subit, mais aussi de part en part notre conceptualisation. Les approches successives ont suscité une attention passionnée et continue parce qu’elles visaient pour la plupart à saisir les ressorts véritables de ce qui est en question, loin des discours de l’opinion et du politique, selon des concepts propres et des chemins singuliers. Dans le vif de l’actuel, il s’agissait d’approcher tout d’abord l’événement à l’origine d’un certain effroi, sans le diluer dans des classifications hâtives et les équivalences approximatives de différentes radicalisations, de concevoir la surenchère de cette grimace surmoïque, qui a été appelée par l’un des organisateurs le surmusulman, de la saisir à partir d’un discours vrai et pertinent. Pour l’appréhender de la bonne façon il fallait cette notion essentielle du manque des Noms de Dieu, de celui qui a tous les noms et n’en a aucun, au contraire de l’idole, ce pourquoi il est imprononçable et ce pourquoi nous pouvons le traiter de tous les noms, aucun n’étant son nom propre et ne faisant nombre avec les autres par conséquent. Défaut des noms de Dieu auquel, de façon sommaire, l’événement islamiste répond, et face à quoi l’exaltation vide de la laïcité par les institutions occidentales est gravement insuffisante. Il fallait aussi prendre la mesure de cette dimension érotique de la parole qui est adressée au Dieu, qui en fait l’époux de ses fidèles, lorsqu’elle trouve aujourd’hui à se déchaîner dans ce qui a été appelé une sorte d’inceste avec Dieu. Quand de la même dimension érotique le savoir des mystiques s’emparait tout autrement dans leur rapport singulier à l’écriture qu’ils reçoivent comme à celle qu’ils effectuent et transmettent, reconnus par des institutions dont pourtant ils ne partageaient pas le langage. 

Il était bienvenu également d’aborder, avec l’humour, l’impertinence et la pertinence que nous avons entendue, quelques vérités des textes islamiques sur le paradis sexuel et sur la crudité de la misère sexuelle qui sur terre en résulte, quoique là comme ailleurs les petits chemins ne manquent pas pour suppléer au défaut de la grand-route signifiante. Un retour au Moïse de Freud a paru opportun, pour en prolonger la logique en lettres lacaniennes.

Ce qui peut être capable de mobiliser l’énergie destructrice et autodestructrice à laquelle nous assistons de nos jours, ne concerne en aucun cas un retour du religieux au sens d’un religieux archaïque, mais un religieux bel et bien moderne, plongeant ses racines dans le vif de notre histoire contemporaine.

Il se déchaîne certes au nom d’une religion comme ordonnancement des sociétés, mais se décide au nom de chaque individu qui la rejoint. Cet individu ne recouvre pas notre notion de sujet de l’inconscient, mais rencontre une question largement à l’œuvre dans toutes les analyses, de sa difficulté d’être dans un monde où nulle religion ne dit plus quelle est sa place au sein d’une société, ni avec qui se coupler, et où se dévoile massivement ce que les croyances religieuses masquaient, d’une béance dans l’union entre les sexes.

La sortie de la religion de l’Occident moderne, et avec elle de la soumission à un passé fondateur, de la subordination à un plus haut, avec l’inégalité de nature qu’elle implique et l’intégration des parties dans le tout, toute cette révolution confronte le troisième monothéisme à une contradiction majeure. Celle qu’il y a entre une idée de supériorité au regard des deux précédents, pour leur avoir succédé, et une situation objective qui est d’un tout autre ordre, écart ravivé encore par leur proximité. Sur cette base, se conçoit la création fascinée de ces individus nouveaux qui se saisissent en somme d’une possibilité de transformer une déréliction délinquante en surmusulman, surdélinquant, jusqu’à ce que morts s’ensuivent. Cette série de sur, à laquelle il faut sans doute ajouter le surmâle de Jarry, s’adresse aussi à ce qui se découvre de non-rapport entre les sexes depuis qu’ils se sont affranchis de la loi sexuelle que prescrivait la Genèse à l’image de l’Un tout seul. Et cette absence se ressent d’autant plus nettement que nombre de femmes se saisissent de cette jouissance phallique que l’Occident leur a désormais reconnue comme étant le propre d’un sujet, pour en faire le tout de leur être dans une équivalence inverse où culmine la béance du rapport.

Les ateliers ont foisonné à nouveau de leur richesse et de leur diversité, qui constituent un mode de travail essentiel quant à l’élaboration et la transmission du savoir dans notre champ. Puis nous avons entendu une belle étude sur la désacralisation d’une langue, où s’avère l’affinité au mot d’esprit de son maniement de la lettre, ainsi que des éléments de spiritualité psychanalytique sans les retenir toutefois comme leçon, avant de clore sur la difficile question de l’athéisme en psychanalyse avec ce qui des termes religieux traverse notre modernité comme structures inconscientes du langage. Du divan au divin il n’y a qu’une lettre, mais une lettre quand même.

Dans tout cela apparaît qu’un essai de rigueur est bienvenu dans l’élaboration de notre pensée et dans la compréhension du monde tel qu’il va. Nous vous donnons rendez-vous dans cet esprit pour nos prochaines journées, qui auront lieu en mars 2017, sur le sexuel dans la perspective psychanalytique.

La Présidente

Gisèle Chaboudez