Lettre de Winnicott à Lacan

En 1967 l’École Freudienne de Paris organise à Paris un congrès international sur les psychoses. Membres du comité d’organisation, Maud Mannoni et Ginette Raimbault sont en contact avec D.W. Winnicott pour l’inviter à cet évènement. D.W. Winnicott n’ira finalement pas, il s’en explique dans cette lettre à Ginette Raimbault. Sa participation sera néanmoins un texte lu par Maud Mannoni en plénière.

Cette lettre nous est parvenue grâce au legs de la bibliothèque de Ginette Raimbault à Espace analytique.

Dr. D.W. Winnicott   87 chester Square SW1 Sloane 9544

 

Cher Dr. Raimbault,

 

Je réponds à votre lettre me proposant de faire une conférence. Il ne m’est pas simple de vous répondre et j’espère que ce que je vous écris sera communiqué au Dr. Maud Mannoni. (J’ai mis une copie de ma lettre dans ce courrier à cet effet). Ce que je vais vous dire ne concerne pas la science mais la politique qui doit malheureusement être prise en compte. Je vous remercie donc d’essayer de comprendre sincèrement la réalité de mon dilemme.

Je sais que votre groupe est associé au Dr. Lacan. Lacan est quelqu’un que j’estime et que j’admire beaucoup. C’est un débatteur exceptionnel et il est tout à fait logique qu’il soit l’analyste le plus considéré dans le monde universitaire. Je pense que cela doit beaucoup à son érudition.

Mais il est aussi connu comme ayant une personnalité difficile. Ce n’est pas un secret, vous pouvez lui montrer cette lettre, il ne sera pas surpris.

Le Dr. Lacan a entraîné le milieu analytique français dans une grave difficulté au sujet de la formation des psychanalystes. Vous savez tout cela, bien entendu, et j’en suis assez largement informé moi-même. Il ne s’agit pas de savoir qui est le meilleur en comparant deux analystes. Il s’agit des modalités de la formation des analystes et de l’application des principes de formation. Comme vous le savez, le Dr. Lacan n’a pas souhaité proposer des critères qui satisfassent en aucune manière les critères officiels de formation des analystes. En d’autres termes, parce qu’il est ainsi, il se trouve désormais en dehors de la psychanalyse et de ce fait en dehors de l’Association Internationale de Psychanalyse.

Ces questions m’importent peu dans le champ de mon intérêt pour la psychiatrie de l’enfant mais il se trouve que je suis actuellement président de la Société britannique de psychanalyse. Ainsi en prenant part à ce congrès, je risquerai de me trouver critiqué de mêler la Société britannique aux affaires de politique interne de la psychanalyse en France. La société britannique ne m’a pas demandé de renoncer à cette conférence, cependant je suis très préoccupé des malentendus que ma présence en tant que président de la société britannique pourrait entraîner au sein de associations françaises.

Il est encore une chose qui m’inquiète sérieusement, c’est le goût du Dr. Lacan pour la publicité. C’est ce qui me fait le plus peur. Il serait si facile de faire un évènement de la venue du président de la Société britannique à un congrès associé, semble-t-il, au nom du Dr. Lacan.

Je serais heureux si vous vouliez bien donner votre avis sur mes propos en toute confidentialité.

Je ne voudrais pas renoncer à ce congrès et en même temps je ne voudrais pas causer de malaise.  Néanmoins, en tant que président de la société britannique il m’arrive de faire intervenir des personnes extérieures.  Peut-être pourriez-vous me garantir d’une façon ou d’une autre qu’aucune publicité ne sera faite et qu’aucune gloire ne sera tirée dans votre congrès de la venue d’une personne ayant une position officielle dans le monde analytique quand (me semble-t-il) une partie des analystes français et des sociétés parisiennes ne pourraient y participer.

J’avais cru dans un premier temps que le mot de psychanalyse n’apparaîtrait pas dans le programme, je vois que j’avais tort et que les débats porteront sur la psychanalyse en tant qu’elle est concernée par la psychiatrie infantile et l’autisme en particulier.

Enfin de compte, je vous répète que j’ai de l’amitié pour les membres de votre groupe ; que je me sens tout à fait concerné, et que je suis intéressé par le thème.
Pourtant je pense que je ne pourrais accepter sachant la proximité de vos liens à tous avec le Dr. Lacan. Mon dilemme, comme je l’ai expliqué, n’est pas de m’opposer au Dr. Lacan mais bien de me trouver engagé dans un problème politique se trouvant dans une impasse. Cela m’est particulièrement difficile sachant que pour ma part sur le sujet des standards de formation, je ne me range certainement pas au côté du Dr. Lacan.

J’espère de vos nouvelles bientôt, et si par chance vous vous trouvez à Londres, je serai heureux de poursuivre, si cela se présente, cette conversation avec vous.

Avec mes meilleurs vœux,

Votre dévoué

 

D.W. Winnicott. F.R.C.P. (Professeur au Collège Royal de Médecine)

 

D.W. Winnicott finira par envoyer un texte qui sera lu au congrès par Maud Mannoni.