Françoise Dolto, une journée particulière

Lecture de Marie Pierre Mansuy

Ouvrage de Caroline Eliacheff

Éditions Flammarion 2018

248 pages

Caroline Eliacheff pousse la porte de l’appartement de Francoise Dolto et nous invite à suivre le temps d’une journée, cette grande figure française de la psychanalyse d’enfants disparue il y a 30 ans. Nous sommes en 1979 et nous partons à la rencontre de la femme, de la mère, de la clinicienne et de la théoricienne mais aussi de la psychanalyste qui inscrivait inlassablement son engagement dans la cité, s’adressant à tous, aux professionnels comme aux parents qu’elle valorisait dans leur position. En sortant de son cabinet, elle a popularisé la psychanalyse et a mis l’écoute de l’inconscient au service des enfants qu’elle reçut jusqu’à la fin de sa vie.

Cette journée retrace sa trajectoire, allant de son désir ancré dans l’enfance à ses combats et à ses engagements. Elle nous restitue les crises et scissions psychanalytiques, la fidélité de Dolto à Lacan, avec qui elle a fondé l’École freudienne de Paris en 1964, et à quelques autres, ses amitiés, ses tracs parfois, ses collaborations professionnelles, de l’Ecole de la Neuville, au Centre Étienne Marcel, de l’hôpital Trousseau à la rue Cujas, de ses interventions radiophoniques à son séminaire sur le dessin d’enfant. Caroline Eliacheff nous rappelle aussi les attaques et les injures dont elle a été l’objet de la part de psychanalystes qui ont propagé dans la société des rumeurs et des interprétations tronquées et erronées de son travail.

Dolto fonde la Maison Verte en 1979, lieu d’accueil destiné à la prévention des troubles relationnels précoces et lieu de socialisation. Il faut se replacer dans le contexte de l’époque pour comprendre le caractère révolutionnaire de ce concept, à l’image de celui de la création de l’école maternelle dans les années 1920. Époque où l’enfant, qui n’est pas encore considéré comme une personne, n’est pas entendu dans sa souffrance et ses besoins, dressé avant d’être élevé. Nous rencontrons une femme qui a choisi d’être de plain-pied dans l’enfance, intuitive, modeste et déterminée, présente à tous, une femme qui s’étonne, s’émerveille et s’interroge, qui peut douter parfois et qui peine à l’écriture de ses ouvrages, sans renoncer jamais.

Le fondement de sa pratique était la question du désir et de sa reconnaissance pour l’articuler au besoin ainsi que la nécessité de parler à l’enfant pour lui restituer son histoire quelle qu’elle soit. Elle a fait naître de nouvelles valeurs éducatives et elle nous laisse notamment le concept des castrations symboligènes et de l’image inconsciente du corps, ainsi que sa trouvaille de la poupée fleur.

Dolto insistait sur son attachement à la transmission de la psychanalyse ; elle a, jusqu’à la fin de sa vie, gardé le désir de témoigner et de transmettre aux professionnels de la petite enfance, aux analystes, aux parents et à la société tout entière sa vision de l’enfant. Elle disait qu’elle se laissait enseigner par eux qui étaient ses maîtres, et que la psychanalyse avec de très jeunes patients est de la psychanalyse pure. On retrouve, grâce à quelques fragments de situations dépliées, sa qualité d’écoute, son intuition et son talent clinique dans les rencontres où s’élabore sa théorie.

Certains lui ont reproché une vision laxiste de l’éducation qui produirait des enfants roi, oubliant hélas de rappeler ce qu’elle érigeait comme une nécessité : un cadre aux limites sécurisantes et structurantes pour accompagner l’écoute et la parole indispensables dès le début de la vie, mais aussi l’inévitable confrontation au manque et le respect dû à l’adulte.

Si, comme le regrette Caroline Eliacheff, son nom ne dit pas grand-chose aux trentenaires d’aujourd’hui pour qui le respect dû au nouveau-né et à l’enfant va de soi, il reste pour la génération de leurs parents, la psychanalyste qui leur a permis de le devenir en posant un autre regard sur l’enfance. Caroline Eliacheff met en lumière ce que la société lui doit, alors méconnaître ou sous-estimer l’apport de Dolto ne leur sera plus possible après la lecture de cet ouvrage qui invite à redécouvrir le matériel considérable qu’elle nous a laissé comme un précieux héritage.