Dossier politique de la psychanalyse

  Statut et situation de la psychanalyse en France

Communication dans le cadre de la rencontre organisée par l’A.I.H.P. sur

Le statut et les réglementations de la psychanalyse en Europe
10 février 2007

Jacques Sédat

Paru dans Topique, 2008, n° 101

                                                                                                                             À la mémoire de Jean Cournut                        

 

Le statut de la psychanalyse et des psychanalystes et les questions liées à une reconnaissance par l’État sont au coeur des travaux menés par le « Groupe de contact » depuis plusieurs années. Mais les rapports des psychanalystes avec l’État ont commencé bien avant, donnant lieu à divers débats et initiatives, tant du côté  parlementaire que du côté des interlocuteurs : psychiatres, psychologues, psychanalystes, psychothérapeutes.

Un rappel historique est nécessaire pour comprendre la situation actuelle, les conditions de naissance du Groupe de Contact ainsi que le rôle qu’il a joué  dans les négociations en cours et dans le paysage psychanalytique français.

I - Rappel historique

1977

- Une directive européenne assujettit à la TVA les prestations de service réalisées par les professions libérales, exception faite des médecins. Ce qui implique l’assujettissement à la TVA des psychanalystes non médecins.

- Constitution d’un groupe sur la TVA, à l’École Freudienne de Paris (E.F.P.) avec Louis Beirnaert, François Roustang, Pierre Gorges, Pierre Kahn, Michel Anquetil et Jacques Sédat. Jacques Lacan accompagné de Jean Clavreul, fera une apparition à l’une de ces réunions, pour souligner l’importance de ce travail. Des contacts sont pris, dès cette époque, avec la Commission socioprofessionnelle de la S.P.P., par l’intermédiaire de Jean Cournut.

Dans une lettre du 1er juin 1979, Christian Simatos, alors secrétaire de l’École freudienne de Paris (E.F.P.),  signale déjà le danger de la « pente administrative »:« Nous sommes sollicités en effet par une pente qui conduit à notre reconnaissance par le ministère de la Santé, et ceci est en contradiction flagrante avec les exigences qui nous spécifient comme étrangers à l’éthique médicale. Comment faire en sorte que les analystes participent à l’élaboration de cette définition sans être entraînés sur cette pente ? »

1981 : Collège de psychanalystes

Le travail sur la TVA  conduit à réfléchir sur la place de la psychanalyse dans la société et à ses insertions sociales. Après la dissolution de l’École freudienne de Paris, des membres de ce groupe (Pierre Kahn, Anne Levallois, François Roustang et Jacques Sédat) ainsi que des membres de la S.P.P. (Dominique Geahchan, Jean Cournut) décident de fonder une association qui n’a pas pour objectif des échanges psychanalytiques et doctrinaux comme à Confrontation (fondée par René Major et Dominique Geahchan), mais de réfléchir à la politique de la psychanalyse face à l’évolution de la société, notamment de la médecine et du champ de la santé mentale. Des psychanalystes de toute obédience y travaillent sur les problèmes de société.
Cette association a publié une revue, Psychanalystes, qui a eu une cinquantaine  de numéros. Jean Cournut en a été longtemps l’actif  secrétaire de rédaction.

1988-1989 : Commission Gérolami

Un débat avec les ministères du Budget et de la Santé paraît indispensable pour mettre en évidence la disparité et l’inégalité fiscale entre psychanalystes, certains exerçant sous couverture médicale ou sous couverture psychologique et les autres étant assujettis à la TVA. Un échange par l’intermédiaire d’un camarade normalien, Jacques Nassif, a donc lieu avec Alain Juppé, ministre du Budget et ultérieurement avec Michèle Barzach, ministre de la Santé, rencontre à laquelle participent Jacques Nassif et Jacques Sédat.
Alain Juppé et Michèle Barzach décident de créer une commission ad hoc, chargée d’examiner les dossiers des assujettis à la TVA et de régler les situations acquises. Alain Gérolami, conseiller-maître à la Cour des comptes, est nommé à la tête de cette commission dite « Commission Gérolami ». Toutes les associations sont informées de ce nouveau dispositif et sont invitées à transmettre l’information à leurs membres qui pourront déposer des dossiers au ministère de la Santé.
Cette commission est composée de psychanalystes de différentes associations, parmi lesquels Jean-Richard Freymann, Serge Leclaire, Michèle Montrelay et Jacques Sédat. Seule la SPP se récuse lors de la première réunion.
Elle se réunit six fois, entre novembre 1988 et mai 1989. Elle examine plus de quatre cents dossiers et constitue une liste des psychanalystes à exonérer de la TVA, liste qui est seulement déposée au ministère du Budget.

- Création de l’A.P.U.I. 

La Commission Gérolami a fonctionné comme une interface entre les psychanalystes et leurs associations d’une part, et les pouvoirs publics d’autre part. Cette nouveauté donne l’idée à Serge Leclaire et à Jacques Sédat, sur les suggestions d’Alain Gérolami, de proposer à l'ensemble du mouvement analytique la création d'une Instance chargée de réguler ces relations.
Lucien Israël, Danièle Lévy, Serge Leclaire et Jacques Sédat élaborent un appel pour une instance ordinale, avec les conseils de Michel Tropper, professeur de droit public. Cet appel est publié dans Le Monde, en décembre 1989, mais il est plutôt mal accueilli par la communauté psychanalytique. Seule la SPP se déclare intéressée.
Bien que cette initiative soit mal comprise et mal reçue par une grande partie de la communauté psychanalytique, elle donne lieu cependant à la création de l’A.P.U.I. (Association pour une instance tierce des psychanalystes). Cette association fournit un travail considérable sur les modes d'existence de la psychanalyse dans la société et réfléchit à une inscription sociale de nature à préserver sa spécificité. L'APUI fait paraître notamment un livre collectif qui demeure essentiel sur la question et qui comprend un chapitre important sur le statut juridique de la psychanalyse et un chapitre historique sur la psychanalyse et les États : États des lieux de la psychanalyse, par Serge Leclaire et l’A.P.U.I., Albin Michel, 1991.

1995-1996

- Mai 1995 : Création par le docteur Michel Meignant et par Serge Ginger de la Fédération française de psychothérapie (FFdP), qui regroupe une cinquantaine d’associations. Elle deviendra en juin 2006 la Fédération française de psychothérapeutes et de psychanalystes (FFPP, dite FF2P).

1998

Création de l’AFFOP (Association fédérative d’organismes de psychothérapie) par Jean-Michel Fourcade, à la suite d’une scission d’avec la FFdP. L'AFFOP regroupe une vingtaine d’associations.

Création de la MILS (Mission interministérielle de lutte contre les sectes) qui succède à l’Observatoire interministériel sur les sectes, créé en 1996.

1999-2000 : Accélération des initiatives pour un statut de psychothérapeute

Des initiatives se multiplient alors du côté des psychothérapeutes et des parlementaires qui sont sollicités.

A l’initiative du SNPPsy (Syndicat national des praticiens en psychothérapie) et de la FFdP, l’AFNOR (Association française de normalisation) mène une étude pour l’information aux consommateurs des travaux normatifs sur l’activité psychothérapique : est-il possible de normaliser cette activité ? La réponse de l’AFNOR sera négative, la multiplicité des techniques ne se laissant pas réduire à une seule et même activité. Cette étude est présentée le 6 juillet 1999 à la DGS (Direction générale de la santé) à laquelle participent Jean Cournut et Jacques Sédat pour représenter la position des psychanalystes.

Dès lors on assiste à une avalanche d’initiatives parlementaires pour ou contre la réglementation des psychothérapeutes :

  • - 13 octobre 1999 : Bernard Accoyer fait une proposition de loi pour « réserver l’usage du titre de psychothérapeute aux seuls médecins et docteurs en psychologie ». B. Accoyer est député d’Annecy où a eu lieu le suicide collectif du Temple Solaire, groupe d’origine sectaire, avec un gourou psychothérapeute à sa tête.
  • - 29 mars 2000 :  Proposition de loi du député vert Jean-Michel Marchand (avec Yves Cochet et Noël Mamère) favorable à la création d'une profession de psychothérapeute.
  • - Nouvelle proposition de B. Accoyer et de 97 députés de l’opposition, en réaction à cette proposition des Verts, avec le soutien de l’Association française de psychiatrie (AFP) et l’aval de l’Ordre des médecins.

Parallèlement, en 2000, Dominique Gillot, ministre de la Santé, propose d’inclure dans la loi la « psychothérapie psychanalytique ».

2001

  • - Février : Bernard Kouchner reprend le projet Gillot qui visait à reconnaître les thérapies relationnelles en y rangeant la psychanalyse. Ceci ne sera finalement pas repris dans le projet  de loi relatif au droit des malades et à la qualité du système de santé.
  • - 5 avril 2001 : Journée mondiale de la Santé sur la santé mentale, au cours de laquelle Bernard Kouchner, ministre de la Santé, prononce une allocution sur  « L’encadrement de l’exercice des psychothérapeutes » :« Certains abus sur des personnes généralement vulnérables peuvent nous inciter à limiter l’accès à un titre de psychothérapeute à des professionnels dûment formés et présentant toutes les garanties nécessaires. En ce sens, notre pays doit développer une évaluation fine des techniques de psychothérapie qui font consensus dans la communauté scientifique. C’est à l’ANAES de mener cette analyse et je vais l’en charger. »
    L’ANAES (Agence nationale d’accréditation et d’évaluation en santé, créée par Bernard Kouchner en 1997) amorce ici cet esprit d’évaluation scientifique, voire scientiste, dans le champ de la santé mentale, qu’on retrouve dans les travaux actuels de l’INSERM qui suscitent un fort débat scientifique et politique.
    Toutefois, le professeur Yves Matillon, directeur de l’ANAES, n’a pas été informé de la mission dont le ministre devait le charger.
  • - Novembre 2001 : un Plan Santé mentale est présenté par Bernard Kouchner. Ce plan prend en compte le rapport Piel-Roelandt (deux psychiatres des hôpitaux), « De la psychiatrie vers la santé mentale », (juillet 2001) qui prévoit la fermeture programmée de lits dans les hôpitaux psychiatriques, un numerus clausus des psychiatres, et qui préconise le soin aux malades en ville par des psychologues ou des travailleur sociaux sur indication médicale.

2002

Création de la MIVILUDES (Mission interministérielle de  vigilance et de lutte contre les dérives sectaires), présidée au début par le député Alain Vivien, en remplacement de la MILS. Elle a pour double objectif la dénonciation des doctrines sectaires et la mise en œuvre de mesures pour la vigilance et la lutte contre les dérives sectaires.
Cette commission publie en février 2002 un rapport sur son propre fonctionnement et insiste sur les dérives sectaires dans le champ des psychothérapies.
En 2006, un nouveau rapport de 304 pages a été remis au Premier Ministre, en 2006, et vient d’être publié.

2003

  • - 14 octobre 2003 : les députés votent en première lecture le projet de loi Santé publique et approuvent l’article 18 quater.

                                                                       Article 18 quater

Cet article reprend pour l’essentiel la proposition de loi déposée le 26 avril 2000 par Bernard Accoyer, avec le soutien de l’Association française de psychiatrie (A.F.P.)
Il rejoint les « Recommandations »  faites par les professeurs Pierre Pichot et Jean-François Allilaire, dans leur rapport « Sur la pratique de la psychothérapie ». Ces recommandations ont été votées le 1er juillet 2003, par l’Académie nationale de médecine.
L’article 18 quater va aussi dans le sens du rapport du professeur Philippe Cléry-Melin sur « Le développement de la psychiatrie et la promotion de la santé mentale ». Remis le 15 septembre 2003 au ministère de la Santé, ce rapport comporte onze propositions relatives aux psychothérapies, considérées comme dépendant de la psychiatrie et sur indication médicale.

Dans ces débats, ce sont surtout les psychiatres, le ministère de la Santé et Bernard Accoyer qui se sont intéressés aux « psychothérapies ». Et ce, dans le but de contrer la définition d’une profession de psychothérapeute, préconisée surtout par le SNPPsy et la Fédération française de psychothérapie. En effet, Serge Ginger et Michel Meignant avaient pris les premiers, en 1999, l’initiative de l’évaluation des pratiques dans ce domaine en commandant le rapport AFNOR sur l’efficacité des psychothérapies. Cette initiative était soutenue par leurs alliés « verts » de l’époque et certains ministres socialiste.
À travers ces débats, il est essentiellement question d’annexer la psychothérapie à la psychiatrie, d'en faire une pratique médicale, face à des psychothérapies multiples dont les formations relèvent essentiellement d’instituts privés de formation.
Les psychologues et les psychanalystes se trouvent un peu mis à l’écart de ces enjeux.

- Novembre 2003 :
Article L 32 31 de la loi Santé publique, dit « Amendement Accoyer ».
Les associations représentées au Groupe de contact prennent position en demandant le retrait ou la modification de l’amendement, dans un Communiqué, le 25 novembre 2003 :

  • « Bien que la psychanalyse ne soit pas mentionnée, deux risques la concernent dans cet amendement :
  • - D’abord, la création d’une éventuelle catégorie de « psychothérapies dites analytiques » dissociées de la psychanalyse, alors qu’elles ne peuvent être pratiquées que par des personnes formées à la psychanalyse.
  • - De ce fait, les Associations de psychanalyse se trouveraient dessaisies du rôle irremplaçable qu’elles sont seules à pouvoir tenir dans la formation et la transmission de la psychanalyse, rôle qui n’a jamais été remis en cause dans toute l’histoire de la psychanalyse, car il tient aux particularités mêmes de la discipline. »

De son côté, tout au long de l'année, Jacques-Alain Miller mène campagne contre l'amendement Accoyer dans la presse et auprès de nombreux praticiens concernés par la politique de santé (rapports du style Cléry-Melin). Il préconise une alliance avec les psychothérapeutes dits "relationnels", alors que les associations représentées au Groupe de Contact ont pour premier objectif de préserver la spécificité de la psychanalyse.

  • - Décembre 2003 
    Une rencontre a lieu entre Jean-François Mattei, ministre de la Santé, et des personnalités du mouvement psychanalytique, dont plusieurs membres d’associations représentées au Groupe de Contact et l’École de la Cause.
    Au cours de cette réunion, la psychanalyse est exclue du champ de réglementation des psychothérapies.

2004

- 11 Août 2004 : Article 52  de la loi Santé publique
Les psychanalystes sont inscrits de droit :
« L’inscription sur la liste visée à l’alinéa précédent sera de droit pour les titulaires d’un diplôme de docteur en médecine, les personnes autorisées à faire usage du titre de psychologue dans des conditions définies par l’article 44 de la loi n° 85-772 du 25 juillet 1985 portant diverses dispositions d’ordre social, et les psychanalystes régulièrement enregistrés dans les annuaires de leurs associations. »

II - Genèse du Groupe de Contact

Un retour en arrière est nécessaire pour comprendre la naissance et l’évolution du Groupe de contact.
En janvier 1997, un groupe de travail est constitué sur l’initiative de Marilia Aisenstein et Gricelda Sarmiento, en vue de confrontation clinique entre psychanalystes de la SPP et psychanalystes lacaniens. Jean Cournut, Claude Dumézil, Patrick Guyomard, Paul Israël entre autres font partie de ce groupe, limité à dix membres.

Mais le groupe clinique s’efface rapidement au profit d’un groupe travaillant sur les problèmes de réglementation. Ce groupe initialement appelé « Groupe Cournut » est alors élargi aux principales associations psychanalytiques et prend le nom de « Groupe de contact ».

Parallèlement au « Groupe de contact », un groupe dit « Groupe du vendredi » a été constitué à l’initiative d’Andrée Lehmann, Danièle Lévy, Jean Perroy et Jacques Sédat. Poursuivant le travail de l’A.P.U.I., ce groupe rassemble aussi des analystes dont les associations ne font pas partie du Groupe de contact.

Composition du Groupe de contact

Il est actuellement composé de douze  associations :

  • Analyse freudienne (A.F.)
  • Association lacanienne internationale (A.L.I.)
  • Association psychanalytique de France (A.P.F.)
  • Centre de recherche en psychanalyse et écriture (C.R.P.E.)
  • Cercle freudien
  • Espace analytique (E.A.)
  • Fondation européenne pour la psychanalyse (F.E.P.)
  • Quatrième groupe (O.P.L.F.)
  • Société de psychanalyse freudienne (S.P.F.)
  • Société psychanalytique de Paris (S.P.P.)
  • Société psychanalytique de Recherche et de Formation (S.P.R.F.)

Objectifs et activités

Le Groupe de contact n’est pas un isolat extraterritorial de la psychanalyse et des psychanalystes. Il s’ancre dans l'histoire du mouvement psychanalytique et surtout dans les inscriptions sociales multiples de la psychanalyse.
Il se trouve confronté pour la première fois à d’autres acteurs et intervenants ayant leurs propres enjeux dans le champ de la santé mentale (les psychiatres, les psychologues et les psychothérapeutes), et joue un rôle dans l'interface avec les pouvoirs publics, notamment le ministère de la Santé et les assemblées parlementaires.
Le Groupe de contact n’est donc pas une entité organique, mais un lieu d'élaboration. Chaque association maintient son entière liberté dans l’appréciation des faits et dans les modalités de ses interventions.

Nous sommes partis d’une absence de toute forme de réglementation en ce qui concerne la psychanalyse et le psychanalyste, et cette absence de réglementation est maintenue. Nous avons pris parti contre une réglementation de la psychothérapie, qui ne pouvait qu’entraîner la psychanalyse. Et nous avons accepté l’idée d’une réglementation portant seulement sur l’usage du titre de psychothérapeute, qui laisse celui-ci libre de ses moyens et permet au psychanalyste membre d’une association la possibilité de s’inscrire pour user du titre de psychothérapeute. Et, à travers les étapes évoquées, nous pouvons dire qu’aujourd’hui, nous sommes encore sur le point d’aboutir.
Depuis 2001, les associations de psychanalystes, dans un travail régulier au sein du Groupe de contact, suivent l’actualité réglementaire, législative et les multiples agitations suscitées par la réglementation des psychothérapies. Ils écrivent au ministre de la Santé et prennent position plus sobrement en public. Généralement, chaque association adresse sa propre lettre en signalant qu’elle est représentée au Groupe de contact.

La première série de lettres a été adressée à Bernard Kouchner, en mai 2001, lors de sa tentative de réglementer les psychothérapies. La lettre de Jean Cournut, président de la SPP à l’époque, reflète bien les préoccupations du Groupe de contact et mérite d’être citée tant elle reste d’actualité :

« Je tiens par la présente lettre à préciser les trois points suivants. Je le fais au nom de la Société Psychanalytique de Paris et après concertation avec des représentants de sociétés de psychanalyse adoptant des positions similaires.

1 – Sous l’appellation « psychothérapie(s) » s’effectuent des exercices dont les références idéologiques et les modalités pratiques sont trop diverses pour qu’on puisse valablement et honnêtement les réunir sous un même vocable, et a fortiori, sous un même titre.
A vouloir les regrouper – et ainsi les cautionner -  les Pouvoirs Publics s’engageraient dans une libéralité dangereuse qui ne fournirait au public aucune des garanties éthiques et techniques qu’il est en droit d’exiger.
2 – Par ailleurs, certains de ces exercices récupèrent abusivement les appellations « psychanalyse » et « psychanalyste » alors que les dits « psychothérapeutes » n’ont ni le bagage théorique, ni la formation personnelle, ni l’entraînement à la pratique psychanalytique.
3 - En effet :
a) la psychanalyse est une investigation de processus psychiques inaccessibles autrement et une méthode thérapeutique qui se fondent sur la découverte freudienne et sur l’enrichissement et l’approfondissement de ses applications cliniques.
b) La référence à l’inconscient et au transfert lui est indispensable. Qui n’en a pas fait l’expérience personnelle sur le divan ne peut prétendre à une formation de psychanalyste.
c) La psychanalyse inclut la pratique de variantes de la cure adaptées à l’organisation psychique de certains patients.

La psychanalyse se démarque de toutes les autres méthodes psychologiques et psychothérapeutiques car en privilégiant l’interprétation du transfert, au lieu d’utiliser celui-ci, elle cherche - sans aucune visée d’adaptation à quelque modèle préétabli que ce soit -  à éliminer autant que faire se peut toute suggestion.
d) L’ensemble de ces principes exige un cadre de la cure en relation avec l’éthique psychanalytique. Celle-ci requiert du praticien neutralité et confidentialité, inséparables de la technique même de la psychanalyse.
C’est en s’étayant sur cette déclaration de principe que je me permets, au nom de la Société Psychanalytique de Paris, d’une part de lancer aux Pouvoirs Publics cet avis de prudence et, d’autre part, d’insister sur la spécificité de la psychanalyse qui maintient celle-ci en principe hors des débats concernant les « psychothérapies ».

Une seule fois, une lettre sera signée collectivement par les principales associations représentées au Groupe de contact, à l’exception de l’APF. Il s’agit de la lettre  du 20 mai 2004, adressée au sénateur Francis Giraud  (voir Annexe).

Résultats obtenus
Entre 2000 et 2006, pour la première fois dans l’histoire de la psychanalyse en France, les principales associations de psychanalystes, jusqu’alors discrètement renfermées sur leurs positions et leurs institutions, sont entrées dans l’arène politique, à partir de rencontres et d’un travail de réflexion entre elles.

Un premier constat s’impose :
Si la séance de psychanalyse est nécessairement extraterritoriale à la société (sauf en cas de feuilles de soin), c’est en ce qu’elle est un « champ extraterritorial d’énonciation » qui échappe à tous les idéaux et à tous les objectifs sociaux.
Il n’en est pas de même pour le statut social, fiscal, réglementaire du psychanalyste et pour les institutions psychanalytiques dont certaines ont même reçu la « reconnaissance d’utilité publique » (R.U.P.) ou sont en train de la demander.
Les associations de psychanalystes n’échappent pas pour autant aux phénomènes de sociologie des groupes, selon des modalités diverses : bureaucraties, leaders, allégeances à des personnes ou à des théories, parfois fétichisées.

Mais tout ce mouvement impulsé par le Groupe de Contact a permis à la psychanalyse d'affirmer son autonomie par rapport à la médecine, la psychiatrie et la psychologie, en se constituant comme un partenaire à part entière dans un débat qui l’engageait. Il a aussi largement concouru à ce que la psychothérapie elle-même ne soit pas réglementée puisque, aux termes de l'article 52, c'est seulement une formation suffisante à la psychopathologie qui est exigée du praticien prétendant au titre de psychothérapeute. Ce praticien reste libre du choix de sa ou ses formations à la psychothérapie.
En 1977, on pouvait définir la psychanalyse comme une « profession paramédicale non réglementée », susceptible donc d’un assujettissement à la TVA. En 2007, elle gagne son autonomie : elle est pour la première fois présente dans un texte de loi qui reconnaît sa spécificité et qui reconnaît aussi que la formation des psychanalystes relève des institutions psychanalytiques, et non d’une formation universitaire.

Une autre remarque importante mérite d’être formulée :
La position des psychanalystes et de la psychanalyse dans la cité ne se déduit pas logiquement d’une théorisation psychanalytique particulière. Elle relève d’une analyse des situations et d’une politique de la psychanalyse.
Si les associations de psychanalyse représentées au Groupe de contact peuvent travailler et avancer des positions proches, c’est parce que les théories psychanalytiques n’interfèrent pas dans l’analyse de la situation. Toutes les associations sont d'accord pour maintenir l'autonomie de la psychanalyse et la spécificité de ses structures.

Derniers développements de la situation statutaire
La Commission mixte paritaire (CMP) composée de sénateurs et de députés, réunie le mercredi 31 janvier 2007, a modifié l’article 52 de la loi Santé publique du 11 août 2004 sur deux points :

  • - Des commissions régionales déterminant l’expérience du professionnel sont créées. Elles sont composées de praticiens inscrits de droit, soit dans l’alinéa 3 , les médecins, les psychologues  et « les psychanalystes régulièrement enregistrés dans les annuaires de leurs associations » (Article 28 sexies).
  • ​- Cet article précise ensuite que les « conditions de formation théoriques et pratiques » ne peuvent être « délivrées que par les établissements d’enseignement supérieurs ou par un organisme agréé par l’État » (Article 28 septies).

    ​Ces articles confirmaient ce qui était déjà présent dans l’article 52 de 2004 concernant la reconnaissance juridique de la psychanalyse, des psychanalystes et des associations de psychanalyse, autorisant de droit un « psychanalyste régulièrement inscrit sur l’annuaire de son institution » d’user du titre de psychothérapeute.

Ces deux articles ont été successivement votés le mardi 6 février par l’Assemblée nationale et par le Sénat, le mercredi 14 février, devenant dans le texte définitif les articles 35 et 36 de la loi sur le médicament.

Le Conseil constitutionnel, saisi par 60 députés et 60 sénateurs socialistes, a déclaré, le 19 février, que ces articles ont été adoptés selon une procédure contraire à la constitution. Le Conseil constitutionnel estime en effet que les cavaliers parlementaires introduits dans la loi sur le médicament, en vue de  modifier l’article 52 de la loi Santé publique, relèvent d’une procédure anticonstitutionnelle.
Le projet de décret d’application va suivre son cours, si le ministre de la Santé le souhaite, car il concerne l’article 52 non modifié, dont la troisième et dernière version date du 16 décembre 2006.

En guise de conclusion

Pour récapituler, on peut retenir qu’une évolution capitale a eu lieu entre 1999 et 2007. On est passé du premier amendement Accoyer, en 1999, qui définissait la psychothérapie dans la loi et dans le code de santé publique - chose irréaliste au plan épistémologique -, à une inclusion dans la loi de la « psychothérapie psychanalytique », en 2001, pour enfin exclure de la loi toute référence à une psychothérapie analytique, en 2004. Ce qui signifie que la pratique de la psychanalyse demeure libre et non réglementée, qu’elle ne relève ni ne dépend d’aucune autre discipline.

Alors que le législateur, au départ (D. Gillot, puis B. Kouchner) distinguait une « psychothérapie psychanalytique », ce qui incluait de fait la psychanalyse dans le champ des psychothérapies, l’article 52 ne fait qu’inscrire de droit les psychanalystes intéressés éventuellement  par l’usage du titre de psychothérapeute.
La loi, en effet, ne définit en rien la psychanalyse, même s’il y a reconnaissance implicite de sa spécificité et, par conséquent, de son autonomie.

Le travail des associations représentées au Groupe de contact, les échanges fréquents et les rencontres régulières ont ainsi permis d’aboutir à un résultat peut-être historique : définir la psychanalyse comme discipline spécifique, ayant une place autonome et indépendante de la psychiatrie et de la psychologie.
Quelles répercussions ces nouvelles mesures législatives et réglementaires en cours entraîneront-elles pour la psychanalyse et les psychanalystes ?

Répondons comme Freud en reprenant la formule de Garibaldi (qui parlait de l’Italie) : « la psychanalyse farà da sé ».

                                                                              2 mars 2007

ANNEXE

Lettre du Groupe de Contact au sénateur Francis Giraud
                                                                                                 
 Paris, le 20 mai

  à  Monsieur le Sénateur Francis Giraud,
 rapporteur du Projet de loi relatif à la politique de santé publique au Sénat

Monsieur le Sénateur,

La très grande majorité des Associations de psychanalyse, membres du « Groupe de contact », s’était félicitée publiquement de l’amendement modifiant l’article 18 quater, voté le 19 janvier 2004 par les sénateurs.
Un article de loi, qui visait à réglementer l’usage du titre de psychothérapeute plutôt qu’à définir des psychothérapies et établir une nomenclature de celles-ci apparaissait comme la meilleure garantie possible  pour le public.
Il permettait, en effet, de préserver les avancées culturelles et les progrès scientifiques à venir dans un domaine par définition évolutif qu’il convenait de ne pas  fixer par la loi.

 Aussi les Associations de psychanalyse  signataires s’inquiètent-elles vivement de certaines formulations introduites dans l’article 18 quater par l’amendement voté en deuxième lecture à l’Assemblée nationale, le 8 avril dernier ; amendement rédigé par Monsieur Jean-Michel Dubernard, au nom de la Commission des affaires sociales.
Dans le premier alinéa, non seulement le lien établi entre la « conduite des psychothérapies » et « une formation reconnue par les associations de psychanalystes » n’est pas acceptable, mais l’esprit de la loi se trouve profondément et dangereusement modifié par le fait de présenter « la conduite des psychothérapies » comme l’objectif même de la réglementation.
Cette formulation, également présente dans l’exposé sommaire, réintroduit une confusion entre les règles précisant les conditions dans lesquelles une personne peut « faire usage du titre de psychothérapeute » et la notion générale de « conduite des psychothérapies » qui renvoie de nouveau à l’impossible définition des psychothérapies et à leur nomenclature.

 Afin de surmonter cette ambiguïté, les Associations de psychanalyse signataires, membres du « Groupe de contact », qui ne peuvent souscrire à sa rédaction actuelle, proposent la  réécriture suivante  des deux premiers alinéas de l’article 18 quater :
« L’usage du titre de psychothérapeute nécessite une formation théorique et pratique  en psychopathologie clinique. Il est réservé aux professionnels inscrits au registre national des psychothérapeutes.»

Nous vous prions de croire, Monsieur le Sénateur, à l’assurance de notre profonde considération et nous tenons à votre disposition pour expliciter notre point de vue.

PS :  Nous adressons copie de cette lettre
à Monsieur le Président du Sénat,
à Monsieur le Président de l’Assemblée nationale,
aux Présidents de groupe du Sénat et de l’Assemblée nationale,
à Monsieur le Ministre de la Santé,
à Monsieur le Premier Ministre,
à Madame Marie-Claire Carrère-Gée à l’Elysée.

 

  • Analyse freudienne  39 avenue de la République 75011 Paris
  • Association lacanienne internationale 25 rue de Lille 75007 Paris
  • Centre de recherche en psychanalyse et écritures 12 bd Arago 75013 Paris
  • Le Cercle freudien 5 rue Payenne 75003 Paris
  • Espace analytique 12 rue de Bourgogne 75007 Paris
  • Fondation européenne pour la psychanalyse  26 bis rue Charles Baudelaire 75012 Paris
  • Forums et Ecole de psychanalyse du Champ lacanien 118 rue d’Assas 75006 Paris
  •  Société de psychanalyse freudienne 23 rue Campagne-Première 75014 Paris
  • Société psychanalytique de Paris 187 rue Saint-Jacques 75005 Paris

Contact :  Jacques Sédat
                  36 rue Pierre Sémard
                  75009 Paris
                   j.sedat@wanadoo.fr

Bibliographie

« Histoire de l’exercice de la psychanalyse par les non-médecins » in Revue internationale d’histoire de la psychanalyse n° 3 (p. 1-396) PUF, 1990.

« Le statut juridique de la psychanalyse » et  « La psychanalyse et les Etats », in États des lieux de la psychanalyse, par Serge Leclaire et l’APUI, Albin Michel, 1991

APUI « Pour soutenir l’analyse “laïque”. Quelle politique ? » Rosa Guitart, Jean Perroy, Claude Pont, Jacques Sédat, Mai 2000 (Document interne à l’APUI, 8 pages).

Jacques Sédat, « La psychanalyse et l’État », in Figures de la psychanalyse, n° 5, 2001, p. 189-200.

Jean Perroy, « Contribution à l’élaboration d’une politique de la psychanalyse », in Revue Che Vuoi ? n° 17, 2002 (article très exhaustif sur la question à l’époque, dans ce numéro qui est en grande partie consacré à ce sujet)

« Éléments pour une histoire du Groupe de contact », texte inédit de Bernard Brémond, 2004

Che Vuoi ? n° 22 (automne 2004) Malaise dans la réglementation :
L’ensemble de ce numéro porte sur l’article 52, avec des textes écrits par différents représentants d’association et une interview sur le Groupe de contact

JFP (Journal français de psychiatrie) n° 21 février 2005« L’amendement Accoyer-Mattei-Dubernard » Revue de presse

MIVILUDES, Sectes et laïcité , La Documentation française, février 2005

Christian Vasseur, « Le soin psychothérapeutique et la loi », in Journal de la psychanalyse de l’enfant, n° 36, Bayard 2005, p. 261-289.

Archives personnelles

  • École Freudienne de Paris
  • Collège de psychanalystes
  • Commission Gérolami
  • A.P.U.I.
  • Groupe de contact