Éditorial

Une institution analytique doit permettre à chacun de trouver matière à articuler théoriquement le point où il en est de l’expérience. S’il y a une impossibilité de transmission de celle-ci, il n’en demeure pas moins qu’entendre et parler avec d’autres engagés dans la même expérience est le moyen privilégié de cerner un peu plus ce qu’elle est. Les deux autres éléments du « trépied » de la formation – analyse personnelle, contrôle – sont dans certaines institutions liés à celle-ci, mais ce n’est pas le choix d’Espace analytique où analyse personnelle et contrôle sont laissés à la discrétion de chacun, tout comme les choix des séminaires et enseignements en dehors de tout cursus.

Dès lors la charge de l’institution est d’une part la validation des parcours singuliers afin d’offrir dans l’interface sociale une garantie quant à cette formation, d’autre part de proposer des enseignements où se pose inévitablement la question de ce qu’est un enseignement de la psychanalyse. Cette question est fondamentale, elle fait partie de l’enseignement lui-même. C’est ce qui le distingue d’un enseignement universitaire. Il relève ainsi du style de chacun de ceux qui prennent le risque d’enseigner.

Une institution analytique doit permettre à chacun de trouver matière à articuler théoriquement le point où il en est de l’expérience. S’il y a une impossibilité de transmission de celle-ci, il n’en demeure pas moins qu’entendre et parler avec d’autres engagés dans la même expérience est le moyen privilégié de cerner un peu plus ce qu’elle est. Les deux autres éléments du « trépied » de la formation – analyse personnelle, contrôle – sont dans certaines institutions liés à celle-ci, mais ce n’est pas le choix d’Espace analytique où analyse personnelle et contrôle sont laissés à la discrétion de chacun, tout comme les choix des séminaires et enseignements en dehors de tout cursus.

Dès lors la charge de l’institution est d’une part la validation des parcours singuliers afin d’offrir dans l’interface sociale une garantie quant à cette formation, d’autre part de proposer des enseignements où se pose inévitablement la question de ce qu’est un enseignement de la psychanalyse. Cette question est fondamentale, elle fait partie de l’enseignement lui-même. C’est ce qui le distingue d’un enseignement universitaire. Il relève ainsi du style de chacun de ceux qui prennent le risque d’enseigner.

La question dès lors se déplace sur le statut de la théorie en psychanalyse. Freud n’aimait pas ce terme pour des raisons qu’on peut qualifier d’historiques. Mais fondamentalement, elle est l’outil qui sert à chacun pour tenter de cerner, au point où il en est, ce qu’il retire de l’expérience. Et même si ce que l’analyste en attrape n’est inévitablement que partiel, c’est pourtant essentiel car il s’agit du témoignage de son mode de réinvention de la psychanalyse. Si la théorie sert à penser l’expérience, mais pas à l’accomplir, elle découle d’une expérience originaire, celle de Freud. C’est pourquoi le retour à Freud est fondamental pour chacun. Depuis des théories diverses se sont développées mais toutes  à partir de Freud. Lacan fut sans doute le plus remarquables lecteur de Freud, mais on pourrait montrer, entre autres, que toute l’œuvre de Melanie Klein s’appuie sur une phrase des Trois essais, etc. Chacun a avancé ensuite ses propres propositions mais toujours ancrées dans l’œuvre freudienne. Au point où nous en sommes de l’histoire de la psychanalyse, Espace analytique se situe  donc dans une orientation freudo-lacanienne, ce qui ne veut pas dire que tout membre d’Espace analytique se réfère à Lacan, mais que notre orientation va de Freud à Lacan, et, on peut le souhaiter, au-delà.

Mais il y a un autre aspect de la théorie que rappelait Octave Mannoni, sa fonction « d’unifier les groupes d’analystes ». Cette facette-là bouche ce que l’autre est supposée ouvrir. Or « un individu à l’intérieur d’une masse connaît, sous l’influence de celle-ci, une modification de son activité animique, qui va souvent en profondeur. Son affectivité s’accroît extraordinairement, son rendement intellectuel se restreint notablement » soulignait Freud. C’est ce que Lacan appelait « l’obscénité » des groupes, soit la jouissance de contrebande qui ne manque pas d’être sollicitée. Elle manifeste une question récurrente depuis les origines du mouvement psychanalytique : comment se fait-il que l’analyse de chacun ne prémunisse pas le groupe analytique contre la Massenpsychologie ? Car la fonction du texte unifiant, garanti, incarné par un « meneur » (qui pourrait aller jusqu’à « se trouver remplacé par une idée, une abstraction ») a la fonction d’obturer ce que l’autre face de l’effort théorique ne cesse de rouvrir. Dans le mouvement de son élaboration, Lacan avait pris comme visée d’analyser ce qui dans le désir de Freud n’avait pas été analysé, qu’il repère diversement, par exemple dans sa position sur la fin de l’analyse. N’est-ce pas la tâche qui incombe à chacun qui se fait le relais de cette inévitable réinvention ? Qu’est-ce qui n’a pas été analysé dans le désir de Lacan, de Melanie Klein, de Winnicott (son identification à la mère suffisamment bonne selon Octave Mannoni), etc. ? En n’évitant pas cette question peut-être pourrons nous mettre au travail, en tension ces deux pôles contradictoires, où l’un ne cesse de résister à l’autre. Sinon nous fonctionnerons d’une génération d’analystes à l’autre comme souvent dans les familles en transmettant les rêves inaccomplis interdisant toute question sur le désir. Ce serait à l’opposé du pari de la fondation d’Espace analytique, telle que l’a initiée Maud Mannoni, à la fois en refusant un nom totem qui nous unifierait, et en instaurant un dispositif institutionnel qui distingue autant que faire se peut la dimension analytique (autonomie des instances, liberté des initiatives des membres, le « poids institutionnel » de chacun dépendant de son investissement, etc.) et les agencements légaux inévitables qui nous regroupent.

Au moment où la psychanalyse est plus que jamais attaquée, l’année qui s’achève aura été particulièrement riche d’enseignements (plus de soixante séminaires et groupes de contrôle), de colloques (près d’une vingtaine), de cartels et groupes de travail très actifs, de formations permanentes, sans compter les journées d’études, les collègues éminents qui nous rejoignent, les créations d’association étrangère (entre autres : Géorgie, Liban, Chine) etc. Mais pour que ce pari tienne, il convient de rappeler l’importance de « l’ambiance » (Stimmung) pour reprendre le mot de Jean Oury. Chacun dans une institution se doit d’en répondre. Et donc place au travail pour l’année qui vient. Excellente rentrée à tous !

 

Alain Vanier

Président