Éditorial

FIGURES DE LA PSYCHANALYSE, NOTRE REVUE

                                                   

Le 13 octobre dernier se tenait le Salon de la revue, où les rédacteurs de Figures de la psychanalyse participaient à un débat avec ceux de Psychanalyse Yetu. On y mesurait combien les revues prennent dans le champ freudien lacanien de la psychanalyse un relief particulier, car plus nombreuses encore que les institutions créées depuis la dissolution de l’école de Lacan, elles constituent, avec les livres d’auteurs et les congrès ouverts, un fil permettant de poursuivre un débat entre tous ceux qui se servent de cette pensée et sont à même de témoigner des effets de sa mise à l’épreuve dans la clinique psychanalytique. Ce formidable élan de pensée nouvelle, que n’a pas coupé, mais relancé plutôt et démultiplié, le terme mis par Lacan à sa fondation institutionnelle et à son séminaire, n’a pas été vaincu par les défauts qui le caractérisent, ni par les attaques multiples qu’il subit, de l’intérieur comme de l’extérieur, et il poursuit sa route, faite de chemins singuliers, de groupes parfois créatifs, d’initiatives parfois fécondes, dans un contexte sombre. Certaines revues de ce champ se réfèrent à une institution, comme la nôtre, d’autres ne le font pas. Ces distinctions tiennent à la singularité de l’histoire de ceux qui les fondent ou s’en occupent, et ont sûrement des conséquences notables, mais ce qui anime ces revues se juge essentiellement selon la qualité et la rigueur de leurs publications, et celles de leurs échanges avec les autres orientations de pensée. 

FIGURES DE LA PSYCHANALYSE, NOTRE REVUE

                                                   

Le 13 octobre dernier se tenait le Salon de la revue, où les rédacteurs de Figures de la psychanalyse participaient à un débat avec ceux de Psychanalyse Yetu. On y mesurait combien les revues prennent dans le champ freudien lacanien de la psychanalyse un relief particulier, car plus nombreuses encore que les institutions créées depuis la dissolution de l’école de Lacan, elles constituent, avec les livres d’auteurs et les congrès ouverts, un fil permettant de poursuivre un débat entre tous ceux qui se servent de cette pensée et sont à même de témoigner des effets de sa mise à l’épreuve dans la clinique psychanalytique. Ce formidable élan de pensée nouvelle, que n’a pas coupé, mais relancé plutôt et démultiplié, le terme mis par Lacan à sa fondation institutionnelle et à son séminaire, n’a pas été vaincu par les défauts qui le caractérisent, ni par les attaques multiples qu’il subit, de l’intérieur comme de l’extérieur, et il poursuit sa route, faite de chemins singuliers, de groupes parfois créatifs, d’initiatives parfois fécondes, dans un contexte sombre. Certaines revues de ce champ se réfèrent à une institution, comme la nôtre, d’autres ne le font pas. Ces distinctions tiennent à la singularité de l’histoire de ceux qui les fondent ou s’en occupent, et ont sûrement des conséquences notables, mais ce qui anime ces revues se juge essentiellement selon la qualité et la rigueur de leurs publications, et celles de leurs échanges avec les autres orientations de pensée. 

 

Nous mesurons année après année ce en quoi une revue de psychanalyse condense à la fois une impérieuse nécessité et une grande difficulté. A celles de n’importe quelle revue, s’ajoute le fait que le savoir en psychanalyse ne s’articule, ne se construit pas essentiellement au niveau du conscient, il ne se découvre à chacun que de façon singulière, lorsqu’il est en somme prêt à l’entendre, donc se déploie en partie selon les étapes décisives d’une psychanalyse. De sorte qu’une part, probablement importante, en reste régulièrement lettre morte, et l’on pourrait se demander alors pourquoi nous accordons tant d’importance au concept, s’il se transmet si peu par les voies habituelles de la pensée ?  C’est un fait que le concept est pour beaucoup d’entre nous essentiel, et il ne l’est pas seulement comme une bizarrerie au sein d’une discipline dont certains vont jusqu’à supposer qu’elle pourrait à l’extrême s’en passer. De fait, outre la part de l’élaboration conceptuelle que l’on espère toujours transmettre, quoi qu’on en veuille, il y a sa fonction fondamentale pour représenter la psychanalyse en extension dans nos sociétés, là où sa pensée a été reconnue pour ce qu’elle a apporté au monde, et où elle ne devra probablement sa persistance qu’à ce qu’elle peut lui apporter de nouveau.

 

Or le concept parfois fait mouche, y compris dans l’inconscient, puisque ceux de Freud, et des analystes qui l’ont prolongé, ont opéré dans le siècle précédent quelque chose de l’ordre d’une interprétation, dont la pensée occidentale subit encore les effets. A l’étape suivante, les concepts de Lacan ont opéré tout autrement, tant leur style énigmatique n’a pas permis de produire un message comparable. On sait que leur déchiffrage n‘est pas terminé, que ceux qui s’y sont attelés depuis des dizaines d’années ne pourraient pas dire que cette pensée est entièrement explorée, qu’ils sont parvenus au bout de ce qu’elle comporte, et notamment parce que cette pensée recèle des constructions secrètes tant elles sont chiffrées, qui ne se révèlent que si on les extrait lettre à lettre et qu’on les réassemble selon nos logiques propres. Mais ce que nous en savons, et en avons articulé d’ores et déjà, nous a laissé peser combien notre siècle en a besoin, puisque ces concepts l’ont en partie précédé, voire annoncé, alors même que l’incompréhension qu’ils suscitent, les essais ici ou là de les déclarer dépassés sans les avoir réellement appréhendés, marquent l’actuel de notre champ avec probablement notre insuffisance à y faire face. Apporter aux concepts de Lacan et à sa pensée des prolongements et des réponses, les manier à notre main, en montrer la surprise encore inexplorée, prend place dans Figures de la psychanalyse de diverses sources, non parce qu’ils seraient seuls à prendre en compte, ce n’est pas le cas, puisque notre institution recueille le sel de nombre de pensées et pratiques non lacaniennes, mais parce qu’ils préfigurent l’avenir d’une psychanalyse.

 

Ainsi, quoi qu’il en soit de cette histoire de la pensée en psychanalyse, nous savons bien que nous ne pouvons pas, cela va de soi, renoncer à en laisser une trace, notamment sous cette forme particulière de revue, qui égrène dans sa progression régulière l’évolution des points de vue à l’échelle réduite de l’article.  C’est une échelle qui convient bien à des travaux condensés, qui avec un peu de rigueur peuvent échapper en partie, quoique pas totalement, au risque de parler seul, sur tel ou tel mode. Laisser cette trace, cette inscription, est en somme la moindre des choses, pour témoigner de l’évolution des travaux dans l’institution et au dehors, sur un mode qui la représente par l’écrit, là où les congrès, colloques et enseignements le font par la parole.

 

Nous savons aussi cependant qu’un autre type de complication pèse sur cette trace. Du fait de son statut d’écrit, en effet elle subit ce sort commun des écrits, que ce soient ceux de l’inconscient ou du papier, de n’être pas fait pour être lus, ce qui ne veut pas dire qu’ils sont faits pour n’être pas lus, mais qu’ils visent d’abord autre chose. Dans l’inconscient, l’écrit, l‘assemblage littéral, vise d’abord à calculer un mode de jouissance qui convienne au sujet, et qui parfois le déborde. Sur le papier, en fait c’est à peu près la même chose, à cela près que ce calcul s’élabore en concepts, passe par le concept. Et à certaines conditions, il y a une chance pour que l’arrangement, le maniement, l’utilisation de ces concepts, rencontrent une part de compréhension, atteignent chez d’autres un savoir ou un non savoir, rejoignent d’autres jouissances. Certes la transmission de la psychanalyse n’est pas la transmission d’une jouissance, sa pratique comporte au contraire de s’en tenir à distance, mais le texte qu’elle élabore en comporte une forme, comme un essai de savoir y faire, non pas seulement avec les symptômes qu’elle engendre mais aussi avec une pensée. Les écrits de Figures de la psychanalyse en recèlent donc une part, qui noue ensemble ces différentes contraintes, et cette trace que nous laissons, nombreux, de notre travail, lue ou attendant d’être lue, a besoin de la mémoire de nous tous.

 

Gisèle Chaboudez

Vice-Présidente